Les chemins de fer européens restent encore très repliés sur leur pays d’origine et peu ouverts. Une alliance créée en 2024 par les chemins de fer suisses, la Deutsche Bahn et la SNCF cherche à changer de voie, en adoptant des solutions open source standards en particulier pour l’interopérabilité et la conformité des systèmes.
Une Europe ouverte a besoin de voies de transport ouvertes au-delà des frontières nationales, y compris pour le réseau ferroviaire. C’est pourtant exactement là où le bât blesse. Historiquement, les chemins de fer européens se sont d’abord organisés sur un plan national. L’interopérabilité et l’innovation étaient moins une exigence pendant la construction des réseaux que la durabilité des infrastructures et des systèmes. Pour aggraver les choses, de nombreux systèmes de sécurité ferroviaire sont conçus pour être spécifiques à l’échelle nationale et dépendent fortement des fabricants. Enfin, l’ensemble manque de normalisation, le secteur compte de nombreux acteurs et la plupart rechignent encore à utiliser des solutions venues d’ailleurs.Pour faire bouger les lignes, la Deutsche Bahn, les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF), la SNCF et l’Union internationale des chemins de fer (UIC) ont fondé l’an dernier l’Openrail Association (ORA, association internationale de promotion des chemins de fer et de la coopération entre les acteurs du secteur). Elle vise à promouvoir la collaboration et la normalisation au sein de l’industrie ferroviaire, en s’appuyant sur des technologies open source. Les 4 membres fondateurs ont été rejoints par la plateforme de billetterie norvégienne Entur, le gestionnaire belge d’infrastructures Infrabel, les chemins de fer marocains (ONCF) et l’organisation suisse à but non lucratif Flatland de promotion de la recherche ouverte sur le champ de l’optimisation de ressources par l’informatique. L’ensemble des membres d’Openrail cherchent à relever les défis numériques des transports ferroviaires, à promouvoir l’interopérabilité entre les systèmes nationaux et à éviter la dépendance vis-à-vis des fournisseurs (vendor lock-in).L’open source, catalyseur de collaboration ?Pour Jochen Decker, CIO de la CFF, et Nicole Göbel, CEO de DB Systel, filiale digitale de la Deutsche Bahn, présents à la conférence Hamburger IT Strategie entre le 19 et le 21 février à Hambourg, l’open source est idéal pour une telle démarche. Ils rappellent que les compagnies ferroviaires européennes sont souvent confrontées à des défis similaires, mais continuent pourtant d’agir de manière individuelle et peu standardisée. L’open source représenterait ainsi, selon eux, un moyen prometteur d’accroître l’efficacité et de stimuler l’innovation.Les deux représentants d’Openrail mentionnent, en particulier, quatre aspects qui plaident en faveur de l’utilisation de l’open source : la coopération favorisée entre compagnies ferroviaires, fournisseurs et universités ; l’élaboration conjointe de normes et de solutions pour amenuiser les problèmes d’interopérabilité ; le développement et la mise en oeuvre plus rapide de solutions innovantes ; le renforcement de la confiance et la capacité de vérifier le niveau de sécurité par la transparence du code open source.Billetterie, capacity planning ou simplification des réservationsMalgré tout, avec l’open source, des préoccupations persistent quant à la sécurité et la réglementation. La CFF et la Deutsche Bahn considèrent ainsi qu’il est souhaitable de ne l’utiliser, dans un premier temps, que dans les domaines les moins critiques en la matière. La billetterie internationale est ainsi un bon exemple. Grâce à un standard commun et à des API open source, une simplification significative a été réalisée et une grande partie des billets internationaux vendus le sont déjà par ce biais.Openrail travaille sur des projets spécifiques divers, comme le capacity planning, sujet central compte tenu du fort encombrement des réseaux ferroviaires actuels. Celui de la Deutsche Bahn fonctionne ainsi déjà au quotidien à 160 % de sa capacité. Il est important de développer une solution de capacity planning plus efficace afin de devenir plus résilient. L’association étudie aussi la gestion des actifs et des infrastructures, c’est-à-dire l’utilisation plus efficace des locomotives, des voitures et des wagons, etc. Elle souhaite aussi simplifier davantage la planification et la réservation de voyages.Sans oublier le fret et le rapprochement IT/OTUn autre objectif est de collaborer avec des fabricants – comme l’allemand Siemens – pour élaborer des normes et stimuler l’innovation. C’est notamment le cas des postes d’aiguillage, qui doivent être renouvelés et numérisés. En Allemagne, certains postes de signalisation sont encore basés sur la technologie des relais de l’époque impériale ! Et la 2G est encore en partie utilisée comme technologie radio pour la sécurité ferroviaire. Openrail veut maintenant établir des normes pour l’avenir numérique dans tous ces domaines.Enfin, la collaboration au sein de l’association ne concerne pas que le transport de voyageurs. La numérisation du transport de marchandises est aussi un chantier majeur. « Aujourd’hui, le couplage des wagons fonctionne toujours comme il y a 150 ans », raconte Jochen Decker. Le développement d’un attelage automatique numérique entre wagons, ou entre wagons et locomotives, pour le transport de marchandises, est ainsi à l’étude. Enfin, comme d’autres secteurs, le ferroviaire fait face à une convergence croissante entre IT et l’OT. Un rapprochement de plus en plus important qui nécessite également de nouvelles normes et architectures pour assurer l’interopérabilité souhaitée.La SNCF débute avec un jumeau numériqueEn janvier 2025, dans un communiqué annonçant son investissement dans OpenRail, la SNCF évoquait ses travaux sur le jumeau numérique d’exploitation ferroviaire Open Source Railway Designer (OSRD). L’occasion pour l’opérateur français de collaborer avec d’autres européens. « Cette coopération nous a donné l’idée de créer une structure dédiée au développement de logiciels européens open source spécifiques au secteur ferroviaire, raconte dans le communiqué Loïc Hamelin, directeur du premier programme open source ferroviaire chez SNCF Réseau. C’est ainsi qu’est née l’Openrail Association ».
Pour un événement organisé à Munich, la NFL (Ligue de football américain) a déployé dans le stade son propre réseau THD en une semaine. Objectif : assurer le suivi du match et sa retransmission aux États-Unis. Pour des raisons d’efficacité et de sécurité, la ligue a apporté son propre coeur de réseau, sa fibre optique et ses équipements Edge. Pas moins de trois conteneurs de matériel.
Touch down ! Et plus de 70 000 fans se sont levés le 10 novembre dernier dans les gradins de l’Allianz Arena de Munich. L’équipe de football américain des Carolina Panthers venait de marquer ses premiers points face au New York Giants. Une action que le public a pu revoir immédiatement sur les écrans géants du stade. Derrière ce replay apparemment anodin, un travail colossal mené par les équipes IT de la National Football League américaine (ligue nationale de football américain) en coulisses. À l’occasion de sa visite dans la capitale bavaroise, la NFL a en effet déployé un réseau THD en seulement une semaine.Des conditions de déploiement spécifiques à l’EuropePendant que les fans applaudissaient, les visages d’Anish Patel, directeur de l’ingénierie sans fil des stades de la NFL, et Aaron Amendolia, directeur adjoint des systèmes d’information de la Ligue, se sont détendus. Diffusion télévisée, rediffusion instantanée, contrôles d’accès, WiFi : tous les systèmes étaient au vert et le réseau était opérationnel et stable.Les deux responsables informatiques ont eu une semaine chargée. Anish Patel est en effet responsable de la conception et de l’exploitation de l’infrastructure réseau dans les stades de la NFL, qu’il s’agisse de matchs internationaux, de matchs américains ou du Super Bowl. Aaron Amendolia, lui, s’occupe des aspects stratégiques, tels que la gestion des fréquences radio, différente en Europe et aux États-Unis. Autre sujet spécifique au Vieux-Continent dont le DSI doit s’occuper : la confidentialité. De nombreux services, tels que le suivi des spectateurs et les données des fans, considérés comme allant de soi aux États-Unis, ne peuvent pas être utilisés par la NFL en Europe en raison du RGPD.Trois conteneurs de matériel informatiquePour le spectacle de trois heures donné par la ligue à Munich, les équipes IT ont donc dû construire un réseau complet en une semaine, comprenant un petit datacenter, un système de protection cyber, un WLAN, un réseau LTE privé, un gestionnaire d’appels en VoIP et un réseau de fibre optique, pour ne citer que quelques éléments.« Pour le seul match de Munich, nous avons apporté trois conteneurs de matériel avec nous. », indique l’équipe. Une cargaison qui comprend des commutateurs, des routeurs, des points d’accès, des équipements mmWave, des scanners de cartes, des tablettes et une grande quantité de fibre optique. Pour le matériel sur site, la NFL s’appuie sur Cisco. « C’est notre partenaire officiel en matière de cybersécurité et d’infrastructure réseau, y compris pour les matchs internationaux à Londres et à Munich cette année, et à Madrid et à Berlin en 2025 », précise Aaron Amendolia.Et il suffit de jeter un oeil aux camions géants garés autour du stade, ceux des chaînes de télévision qui diffusent le match aux États-Unis, pour comprendre pourquoi la NFL a besoin de débit en Tbit/s. D’autant que plus personne ne parle de Full HD, la 4k est désormais la norme pour le son et l’image.Trop de différences pour s’appuyer sur l’infrastructure en placeMais pourquoi tous ces efforts alors que l’Allianz Arena de Munich est l’un des stades de football les plus modernes d’Europe ? L’enceinte, qui propose une infrastructure informatique avec un WiFi haut de gamme, le contrôle des plaques d’immatriculation dans les parkings, des systèmes d’accès électroniques, des systèmes de caisse enregistreuse en réseau, etc., n’a pas à envier aux stades américains. Sans oublier qu’en plus des racks 19 pouces installés en permanence dans son datacenter, l’Allianz Arena dispose de quelques racks mobiles plus petits.
Les différences avec le football européen empêchent la NFL d’utiliser les infrastructures en place. L’emplacement des caméras sur le bord du terrain en est une, par exemple. (Photo : J. Hill)
Anish Patel admet effectivement que le partage des infrastructures est pratiqué dans des stades de ce type. Cependant, les exigences en matière d’infrastructure du football et du football américain sont trop éloignées. « Cela commence par les positions des caméras, qui se trouvent à des endroits complètement différents dans le football américain et dans le football, de sorte que l’infrastructure préinstallée ne nous est d’aucune utilité », précise Aaron Amendolia.Une connexion haut débit avec New York« Nous avons aussi besoin d’une connexion rapide au centre de commandement central Art McNally GameDay à New York, car c’est là que sont basés les officiels de la NFL, qui sont comparables aux arbitres vidéo allemands », souligne Anish Patel. Des tablettes sont aussi à disposition dans des espaces de communication réservés, installés sur le bord du terrain, pour que les arbitres sur place analysent plus en détail des situations de jeu insuffisamment claires à l’aide de réalité augmentée ou consultent leurs collègues à New York en temps réel. Ces espaces de communication disposent aussi de téléphones IP contrôlés avec Cisco Call Manager, pour que les entraîneurs contactent tacticiens et autres experts en cas de besoin.Mais la NFL veut aussi sa propre infrastructure pour des raisons de sécurité. « Nous avons besoin de notre propre coeur de réseau, qui fonctionnera même si nous sommes coupés du monde extérieur en matière d’IT, afin d’assurer un fonctionnement fluide du jeu », souligne ainsi Anish Patel qui a conçu le réseau. Pour ce faire, il a opté pour l’Edge computing. Le coeur de réseau pour le jeu proprement dit fonctionne à partir d’un petit datacenter mobile, mais tous les autres services, tels que les retransmissions télévisuelles, etc., sont en Edge.Protection cyber renforcée« Le réseau est déjà isolé du reste de l’infrastructure au niveau de la couche physique », ajoute-t-il. Et il doit fonctionner sans interruption ni pics de charge soudains. La NFL a mesuré des charges allant jusqu’à 20 Gbit/s sur le Wi-Fi invité du stade. De plus, des contrôles stricts des endpoints sont en place dans le coeur de réseau. Et toute connexion nécessite une authentification à deux facteurs. Une politique très stricte de sécurité qui s’explique facilement. « Lors du Super Bowl de février, raconte le DSI adjoint, nous avons réussi à bloquer 39 000 événements de sécurité et 354 000 connexions à destination de ou en provenance de zones du monde figurant sur la liste noire. »
Des robots chiens de Boston Dynamics arpentent une des usines du constructeur automobile allemand BMW pour surveiller la production et alimenter le jumeau numérique du site. Les mêmes robots servent à la Deutsche Bahn pour inspecter l’état de ses trains.
BMW a affecté un étonnant nouvel employé à la surveillance des lignes de production de son usine de moteurs de Hams Hall, au Royaume-Uni. Spotto, c’est son nom, est tout simplement un chien-robot fabriqué par Boston Dynamics. Il contribue ainsi à la fluidité du processus industriel, mais il est aussi chargé de scanner l’ensemble de l’usine pour alimenter son jumeau numérique en données à jour.Alimenter le jumeau numérique de l’usine« La virtualisation, l’automatisation et l’IA sont des piliers majeurs de notre iFactory », justifie Klaus von Moltke, directeur de la production de moteurs, pour expliquer la raison de cette étonnante expérimentation. « Et ce robot joue un rôle important dans la création et le développement en cours du jumeau entièrement connecté de notre usine. »Le double numérique du site compte trois niveaux technologiques : des représentations 3D de l’usine dans son ensemble, une couche de données alimentée par les différents SI, dont le SI de production, ainsi que par le robot autonome, et enfin des applications qui identifient les données pertinentes à conserver. Celles-ci servent, par exemple, à optimiser la qualité et la planification de la production directement depuis le site industriel.L’inspection des trains de la Deutsche BahnMais Spotto est également doté de nombreux capteurs visuels, thermiques et acoustiques et peut également être utilisé pour la maintenance. Il surveille la température des installations, afin de détecter toute surchauffe, signe précurseur d’une panne éventuelle. Il peut également repérer des fuites dans les conduites d’air comprimé, afin entre autres de réduire la consommation d’énergie.La Deutsche Bahn teste un robot-chien Boston Dynamics pour vérifier l’état de ses wagons de marchandises et réaliser des inspections visuelles pour détecter d’éventuels dommages sur les trains. (Photo Stefan Wildhirt. Deutsche Bahn)Contrairement à Spotto qui travaille à l’abri dans le site chauffé et au sec de BMW, le chien-robot du dépôt de maintenance de Mayence-Bischofsheim (Allemagne) de Deutsche Bahn doit marcher le long des voies en terrain accidenté, y compris par mauvais temps. L’opérateur ferroviaire allemand teste ces machines autonomes pour vérifier l’état de ses wagons de marchandises et réaliser des inspections visuelles pour détecter d’éventuels dommages sur les trains. Le robot-chien devrait aussi, dans l’avenir, réaliser des travaux d’excavation sous ces derniers. La Deutsche Bahn envisage aussi de s’en servir pour détecter des flexibles de frein desserrés ou des fuites, toujours sur les wagons de marchandises.
Prévenir le vandalisme
Et, depuis mars, la Deutsche Bahn a donné une nouvelle mission en test à son chien robot. Il est chargé de prévenir le vandalisme, en particulier les graffitis sur les voitures, à Munich. Pour ce faire, le robot patrouille en toute autonomie dans les parkings et tente de détecter la présence de personnes non autorisées ou d’autres irrégularités à l’aide d’IA. Si la machine repère une infraction potentielle, elle retransmet en direct des images en qualité HD aux employés du service de sécurité de la Deutsche Bahn. Et ce sont eux, et non le robot, qui décident des mesures à prendre. Aujourd’hui, les très nombreux graffitis doivent être minutieusement nettoyés à la main. Pour ce faire, environ douze véhicules sont emmenés à l’atelier chaque semaine, entraînant des coûts à six chiffres pour le seul S-Bahn munichois.





